En S’Elles : le choix d’une mixité choisie

En S’Elles : le choix de la mixité choisie


Les objectifs de l’atelier

En S’Elles est un atelier d’auto-réparation vélo en mixité choisie, qui se tient un samedi par mois, de 14h à 17h, à La Laiterie de Mouans-Sartoux. Cet atelier invite les personnes qui ne sont pas des hommes cisgenre* à venir apprendre à réparer leurs vélos et à approfondir leur pratique de la mécanique vélo. 

Quel que soit le niveau, en S’Elles propose d’apprendre et de pratiquer la mécanique vélo, de prendre de l’assurance dans un climat serein et de questionner nos pratiques en terme d’égalité au sein de l’atelier, afin de rendre la mécanique vélo accessible à toustes. 

Il s’agit autant de réaliser qu’iels en sont capables, que de prendre confiance en cette activité.

Les participant.e.s peuvent ainsi s’(ré)approprier la mécanique vélo dans un espace plus égalitaire et sécurisant, c’est à dire où iels risquent moins de subir des attitudes sexistes/genrées.

Cet atelier poursuit un objectif d’émancipation plus large encore. Le vélo fut et reste un moyen de transport qui a permis l’émancipation de nombreuses femmes au fil des années. C’est un moyen de transport efficace, économique et … réparable. La liberté de mouvement en vélo peut se muer en véritable autonomie lorsqu’on sait réagir en cas de problème sur son biclou ou identifier un comportement anormal.

En S’Elles est également un projet d’autonomie, de vélonomie ; ne pas dépendre d’un.e professionnel.le et/ou d’un homme pour assurer sa liberté de circuler.

C’est enfin un espace de partage et de liberté d’expression : la mixité choisie permet aux participant.e.s de partager, de verbaliser les rapports de domination qu’iels seul.e.s subissent. Il s’agit de compléter l’offre associative en ouvrant le lieu à un public qui ne se l’approprierait pas autrement. 

Cet atelier a pour vocation de permettre de (re)donner confiance aux personnes pouvant subir des oppressions liées à leur identité de genre, vis-à-vis de la mécanique et de l’autoformation. Et ainsi de pouvoir revenir fort.e.s de cela dans les espaces mixtes.  Autrement dit, il s’agit d’offrir un cadre de développement de compétences et d’appropriation de l’espace, pour des personnes qui ne seraient pas spontanément venues ou revenues en atelier mixte. 

* cis/cisgenre : dont l’identité de genre est en accord avec son sexe de naissance


La mixité choisie (ou non-mixité), qu’est-ce que c’est ?

La mixité choisie est le fait de se réunir entre personnes appartenant à un ou plusieurs groupes sociaux  opprimés et discriminés, en excluant la participation de personnes appartenant aux groupes pouvant être oppressifs et discriminants.

Dans le cadre de cet atelier, la mixité choisie est basée sur le genre : il s’adresse aux femmes et aux minorités de genre et se déroule sans hommes cisgenres.

Cette pratique fait l’objet de nombreuses critiques, ses détracteur∙ices, souvent indifférent.e.s aux situations de non-mixité de fait au sein des groupes dominants (conseils d’administration de grandes entreprises, par exemple), considérant que cela crée de une forme de discrimination inversée. Pour autant, non-mixité et mixité choisie n’ont pas d’autres objectifs que ceux de l’égalité entre toustes.

La non-mixité peut être subie ou choisie ; la mixité n’est pas toujours synonyme d’égalité : pour en savoir plus, lire cet excellent article : https://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite

Pour résumé : cet espace s’adresse aux femmes, personnes transgenres, intersexes, non-binaires, etc. Il est ouvert à tous les groupes sociaux pour lesquels l’identité de genre peut freiner ou empêcher l’accès à la pratique de la mécanique vélo.


L’atelier d’auto-réparation, un espace genré ?

La mécanique est un domaine perçu comme typiquement masculin. Le constat est identique dans la majorité des ateliers d’auto-réparation de vélos en France : les adhérents et les bénévoles présents sont majoritairement des hommes. 

« Personne n’interdit aux femmes de venir en atelier mixte. » 

Pour une personne ne faisant pas partie du groupe dominant, il est plus difficile d’oser, d’expérimenter, de se tromper, sans que cela ait de conséquences : après avoir franchi la porte de l’atelier, nombreux.ses sont celleux qui n’y reviennent pas. 

Comme dans tout environnement longtemps genré et masculin, on remarque plusieurs formes de comportements sexistes, souvent inconscients, qui confirment un sentiment d’illégitimité ou d’incompétence des femmes et de minorités de genre et freinent l’apprentissage. 

Quelques exemples :

  • Prendre les outils des mains et faire à la place
  • Demander des conseils uniquement aux hommes présents (variante : demander confirmation à un homme un conseil donné par une femme)
  • Venir commenter ou donner des conseils non sollicités
  • Présupposer un niveau technique faible 

« Aux hommes aussi, on prend les outils des mains » ; « La majorité des adhérent.e.s ne reviennent pas, le genre n’a rien à voir là-dedans ! »

  • Ces observations sont faites en tenant compte de la répartition des genres en atelier : les femmes ont plus de chances que les hommes de se faire prendre un outil des mains, lorsqu’elles bricolent. Elles sont également proportionnellement moins nombreuses que les hommes à ré-adhérer à l’association.
  • L’impact n’est pas le même selon le genre et les codes sociaux intériorisés : prendre un outil des mains d’un homme restera un acte isolé et sans conséquences, quand le même geste pourra agir comme un biais de confirmation, valider un stéréotype selon lequel les femmes seraient moins aptes à la mécanique que les hommes.

Il y a des différences genrées dans la pratique associative de la mécanique vélo. L’intention des personnes n’entre pas en ligne de compte. 

Témoignage : « Je m’étais mise à l’autre bout de la place, dans un coin isolé. Quand  on s’éloigne autant du groupe, le message me semble clair : je veux être tranquille. Un gars était à 2 mètres de moi, même configuration. Ma tâche était très simple : changer ma guidoline. Deux hommes sont venus me proposer leur aide et un troisième s’est posé à côté de moi pour me donner des conseils (que je n’ai pas demandé et dont je n’avais pas besoin). Je me suis dit qu’ils voulaient être gentils, que c’était normal. Ensuite, je me suis rendue compte que personne n’était allé voir le type à côté.« 

Il n’est pas rare non plus de se retrouver face à un adhérent ou un bénévole ayant un comportement ouvertement sexiste, à travers des « blagues » ou des remarques réduisant la personne à son genre et aux stéréotypes qui l’accompagnent. Un recueil de témoignages est disponible ici.


Une sous-représentation importante

« Nous on voudrait avoir plus de femmes bénévoles ! Mais ce n’est pas notre faute si elles ne viennent pas.« 

C’est un cercle vicieux. À nous seul.e.s, nous n’allons pas lutter contre des siècles d’histoire, de rapports de domination et d’apprentissages sociaux genrés. En revanche, nous pouvons contribuer, à notre échelle, à faire évoluer les représentations, affaiblir les stéréotypes et ainsi ouvrir la voie à plus d’égalité.

Pour cela, il est nécessaire de saisir les mécanismes sociaux à l’œuvre en atelier, plutôt que de céder à un discours essentialiste (qui réduit les pratiques à des différences biologiques sans fondement). Les femmes et les minorités de genre sont sous-représenté.e.s dans le domaine de la mécanique vélo : 

  • Parce qu’iels n’envisagent même pas que cela puisse être une activité potentielle
  • Parce qu’un débutant et une débutante en mécanique vélo ne partent pas sur un pied d’égalité, à commencer par le fait de savoir nommer et manier les outils 
  • Un très fort sentiment d’illégitimité, avec l’intériorisation du stéréotype associant la mécanique et le masculin
  • Des difficultés à s’approprier l’espace, en raison d’un apprentissage social visant à prendre peu de place, a ne pas déranger et à rester discret.ètes
  • Un apprentissage et une progression freinés par des adhérents et bénévoles atteints d’une sorte de syndrome du chevalier servant : c’est pour aider et par gentillesse que les outils vont être pris, « pour montrer ». Mais puisqu’en sortant de là nous n’auront rien appris, à quoi bon venir ?
  • Parce que participer à une activité genrée, lorsqu’on ne fait pas partie du genre dominant, c’est prendre le risque de s’exposer au sexisme qui l’accompagne. On veut passer un bon moment, pas lutter pour jouir du même respect que les autres

Quelle que soit la bonne volonté de l’association et de ses bénévoles, il est impossible de garantir un espace sécurisant et sans discrimination. Le lieu vit et ses membres se renouvellent, le modèle patriarcal reste dominant, c’est pourquoi assurer l’inclusivité d’une activité aussi genrée que la mécanique vélo demande un effort de chaque instant.


Une question de modèle

De plus en plus d’ateliers prennent conscience que la sous-représentation des femmes et des minorités de genre relève de la construction sociale et non d’une supposée inaptitude ou d’un désintérêt « naturel ». Le sexisme est présent dans TOUS les ateliers de mécanique vélo en France, de manière plus ou moins conscientisée. 

Si certains ateliers mettent en place des règlements intérieurs ou des temps de sensibilisation, la sous-représentation des femmes et des minorités de genre en mécanique représente un frein important à la mise en œuvre de ces stratégies d’adaptation. 

  • Parce que petites filles et femmes sont très rarement encouragées à bricoler (voire bien souvent découragées), l’idée même de se lancer dans la pratique de la mécanique vélo est rarement spontanée. 
  • Dès lors, certains obstacles rencontrés par les femmes et certaines minorités de genre n’ont jamais et ne concerneront jamais les hommes cis. Pour ceux qui occupent la majeure partie de l’espace, il est difficile d’appréhender l’existence de problématiques « invisibles » à leurs yeux.
  • Parce que les comportements problématiques sont intériorisés et que les ateliers reflètent une norme sociale, il est difficile de s’en rendre compte et d’en changer.

La présence de femmes et de minorités de genre pratiquant la mécanique vélo est essentielle afin de permettre aux hommes cis de prendre conscience et se confronter à  leurs biais genrés et d’offrir à ce public minoritaire une image positive et accessible, qui permet à celleux qui ne l’avaient jamais envisagé de se projeter dans ce type de loisirs. 

« Si je vois des mécaniciennes, c’est que c’est possible. Et si c’est possible, alors pourquoi pas moi ? »


Pour résumer…

  • Nous ne voulons pas qu’on nous donne des outils, nous voulons les prendre. Nous voulons être autonomes, nous voulons nous exprimer librement et partager nos expériences. 
  • La mixité choisie permet de libérer la parole sur les situations d’oppression vécues, en tant que cycliste et en tant que mécanicien.ne du samedi. 
  • Cet atelier permet de débuter en mécanique vélo, de prendre confiance en soi, d’expérimenter, voire même de se tromper.  

Nota Bene : cet article n’a pas pour objectif de te convaincre de l’intérêt ou de la pertinence de cet atelier. Il répond à des besoins spécifiques, souvent invisibilisés. Si tu t’intéresses à la pratique associative de la mécanique vélo et :

  • Tu ne fais pas partie du public visé et que tu n’es « pas d’accord » ou que tu penses que « ce n’est pas la bonne solution »,
  • Ou tu fais partie du public visé et que tu ne te sens pas concerné.e,

Pas de problème ! Tu es le/la bienvenu.e chaque samedi matin de 10h à 13h !